Drame de Melilia – L’incontournable triste réquisitoire

Des morts il y en a et il y en aura chaque jour sur terre. Mais mourir de la sorte, mourir écrasé, étouffé, les yeux exorbitants, le souffle coupé, les membres fracassés et piétinés, mourir pour avoir légitimement rêvé d’une meilleure vie, est vraiment triste et révoltant. Deux ans après, les images choquantes des corps et des cadavres empilés comme dans un enclos à bétails, interpellent encore et toujours notre humanité et notre conscience.

Le drame de Barrio Chino du 24 Juin 2022 n’est malheureusement pas nouveau. Il nous rappelle les événements tragiques de septembre 2005 pendant lesquels, au moins onze personnes sont tombées sous des balles dont aucune enquête impartiale n’a pu à ce jour, en imputer la responsabilité ni aux forces de l’ordre marocaines ni espagnoles.

Doit-on à chaque fois, face à un drame similaire, se renvoyer les accusations, chercher le ou les responsables ou trouver un bouc-émissaire ? N’est-il pas urgent de tenter de régler ce problème à la source et éviter à l’avenir, la perte répétée et injustifiée de tant vies ? 

De tels drames questionnent, avant tout, les politiques migratoires de l’Union Européenne que de nombreux observateurs et chercheurs s’accordent à considérer comme étant teintées de phobie et d’hypocrisie. Ces drames à répétition questionnent également la gestion du phénomène migratoire par les pays de la rive sud de la Méditerranée, gestion appréhendée à travers un prisme sécuritaire.  

Le danger des campements informels

Mais le réel problème à mon sens, n’est pas, tant les politiques européennes que la passivité des autorités marocaines devant la prolifération de campements informels de migrants près des points de passage des présides occupés de Sebta et Mellilia. Censés être temporaires, ces squats, sont devenus en plus de vingt ans, des installations à vocation plus ou moins durable avec une organisation interne de l’espace, des rôles et des charges et se sont transformés en points noirs où s’activent les réseaux de passeurs et où sévissent, en totale impunité, les réseaux de traite des êtres humains. A partir de ces starting-blocks, des assauts violents sont lancés régulièrement sur les grillages des présides occupés de Sebta et Melilia, mettant souvent les autorités marocaines dans l’embarras : soit respecter les termes des accords avec l’UE et renvoyer par la force les assaillants en subissant les foudres des ONGs de défense des migrants et les critiques des médias, soit résister aux pressions de l’UE et fermer les yeux sur ces assauts répétés avec ce que tout cela entrainerait comme implication sur les rapports du royaume avec l’UE.

Continuer à fermer les yeux sur l’existence de tels campements dans les forêts, montagnes ou même en zone urbaine est intolérable et inacceptable à mon humble avis. Mon engagement depuis plus de vingt ans dans la défense des droits et de la dignité des migrants et du droit de tout un chacun d’avoir un projet migratoire, ne m’empêche pas de dénoncer l’existence de ces zones de non-droit, où les conditions de vie les plus élémentaires sont inexistantes et où les squatteurs sont réduits à vivre comme l’homme des cavernes. Cette situation est inacceptable et les autorités marocaines devraient démanteler d’urgence ces campements, dans le respect de l’ordre public et de la dignité des occupants tout en essayant de leur trouver des solutions plus ou moins durables. Le choix de la facilité est à éviter. Il ne faudrait pas régler un problème pour en créer d’autres.            

Les effets secondaires de la stratégie nationale de l’immigration et de l’asile

Avec du recul, n’importe quel observateur est en mesure de constater que la gestion de la question migratoire par l’Etat depuis le lancement des deux opérations exceptionnelles de régularisation des étrangers a eu pour effets secondaires, le démantèlement de la dynamique associative qui a été derrière la solidarité avec les migrants et réfugiés et la mobilisation pour la défense de leur dignité et leurs droits. On a assisté à la captation des associations et groupements de migrants et l’isolation des associations marocaines d’accompagnement, et à une boulimie de création de nouvelles associations alléchées par de l’appât de potentiels financements et d’agendas électoralistes.

Le constat est qu’aujourd’hui, la société civile est malheureusement dans l’incapacité d’adopter, comme auparavant, une position commune face à toute affaire ou crise. Même le minimum syndical de coordination ne serait pas garanti à l’état actuel. D’un côté, il est facile de noter une mobilisation boiteuse de certaines parties, une indignation et des condamnations intéressées d’autres. D’un autre côté, on assiste à l’indifférence et au silence complice de certaines ONGs surtout européennes, contre un acharnement d’autres associations à l’affût du moindre drame ou événement pour régler de vieux comptes avec l’Etat.  

Il est du ressort et de la responsabilité exclusive des autorités marocaines de concevoir et de mettre en œuvre une réelle politique d’intégration socio-économique des étrangers installés au Maroc au lieu de sous-traiter ce chantier à des parties tierces, notamment à des ONGs européennes davantage motivées par les financements et la visibilité et avec un impact très limité voire inexistant sur les supposés bénéficiaires. La conception et la mise en œuvre d’une nouvelle politique d’intégration, beaucoup plus inclusive, plus globale, plus pertinente et mieux adaptée au contexte marocain et à ses spécificités implique non seulement une réelle volonté et la réactivation du ministère chargé des affaires de la migration, mais également une profonde réflexion impliquant, en plus des institutions concernées, tous les acteurs engagés, actifs et crédibles de la société civile. Le propre de la société civile est d’abord d’être une force de proposition et ne se résume pas à la critique à outrance. 

L’adage qui dit : « les faits sont têtus » s’applique parfaitement à notre cas de figure étant donné que le ministère chargé des affaires de la migration est entré dans une longue hibernation juste après l’adoption du Pacte Mondial sur les Migrations en 2018 avant de disparaitre complètement. Sur les trois lois sur la migration, l’asile et la traite des personnes, pourtant promises en grande pompe pour la fin de 2014, seule la loi 27/14 à caractère sécuritaire, sur la traite des personnes a été adoptée à ce jour, et ce, de manière expéditive. 

Les financements des bailleurs : sélectivité, conditionnalité et impact mitigé 

En 10 ans, quelques 50 millions d’Euros, sinon plus, en financements directs à des projets censés bénéficier à la population migrante et contribuer à l’atteinte des objectifs de la SNIA ont été déboursés sans impact significatif. Outre la sélectivité et la forte conditionnalité de ces financements, ils n’ont, tout au plus, que permis à des ONGs européennes de couvrir une partie de leurs coûts et charges de fonctionnement, à instrumentaliser un certain nombre d’associations et d’activistes, de se constituer une clientèle et un réseau d’affidés et de s’évertuer maladroitement de donner un visage plus humain à la politique hypocrite de l’UE en matière de migration. Privilégiant davantage la visibilité et la couverture médiatique que les résultats tangibles et durables sur le terrain et sur le quotidien des populations cibles, et profitant plus aux ONGs (chefs de files) européennes et à leurs consultants et experts affidés. Il est urgent de repenser l’objet même de ces financements, leur conditionnalité, leur sélectivité et leurs supposés impacts parce que les priorités du Maroc différent de celles de l’UE et des autres bailleurs de fonds et la précarité des bénéficiaires ne leur permet guère d’émettre des réserves ou d’avoir leur mot à dire sur la mise en œuvre des projets et programmes qui leurs sont destinés.   

Implications avérées, responsabilités diffuses

Si les Etats, et dans notre cas, ceux de l’Union Européenne, s’érigent souvent en chantre des droits humains et en donneurs de leçons, ils sont aussi capables et coupables de machiavélisme politique, en faisant pression sur les pays du Sud afin de leur imposer la sous-traitance de la gestion des flux migratoires à leurs frontières, sans être vraiment regardants sur les méthodes utilisées. Les financements et les aides en nature accordés en contrepartie, ne seraient en fait qu’un simple fard pour maquiller un « partenariat » déséquilibré en faveur de l’Europe des 27 au dépens d’une aire géographique maghrébine composée non de cinq, mais de 1 pays +1 pays +1 pays + 1 pays +1 autre pays.

La responsabilité du Maroc, de l’Espagne et de l’UE est bien plus qu’évidente, elle est flagrante

Le Maroc est responsable pour avoir :

  • toléré pendant plusieurs années des campements de migrants similaires à ceux de l’homme des cavernes
  • mis en veilleuse la SNIA et démantelé le ministère chargé des affaires de la migration
  • adopté une politique de cabotage au lieu d’oser adresser le fond des problèmes
  • traîné dans l’adoption des lois sur l’asile et sur la migration
  • mis à l’écart et ignoré les composantes actives de la société civile et pour avoir abandonné la société civile au diktat des bailleurs de fonds

L’Espagne est responsable pour avoir :

  • renvoyé à chaud des demandeurs d’asile
  • militarisé à outrance les grillages entourant les présides occupés de Sebta et Melilia
  • cautionné l’approche sécuritaire des autorités marocaines

L’UE est responsable pour avoir :

  • imposé l’externalisation de la surveillance de ses frontières méridionales à des pays de la rive sud de la Méditerranée, dont le Maroc.
  • Sous-traité le contrôle de ses frontières à un pays comme le Maroc
  • vassalisé une grande partie de la société civile, notamment des activistes, des associations ainsi que des consultants et des médias
  • fermé les yeux sur les violations des droits des migrants sur ses frontières
  • conditionné outrageusement l’octroi de financements

Si d’un côté, je salue le travail des forces de l’ordre marocaines et condamne tout acte de violence préméditée commis contre elles par les assaillants lors de l’accomplissement de leur devoir, je réclame, d’un autre, le droit à la vie et à la dignité pour tous et défend le droit de tout un chacun d’avoir son propre projet migratoire.

Younes Cinquième du Nom

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