Le principe du « Blitzkrieg » ou guerre éclair, adopté par les troupes nazies lors de la 2e Guerre Mondiale reposait sur le choc causé par l’effet de surprise et la force de l’attaque. Le même principe a prévalu pour l’opération « BlitzHrig » ou Hrig éclair à la différence près, que la date et le lieu de l’opération étaient connues d’avance et par tous.
S’agit-il d’une opération savamment orchestrée de l’étranger ? D’un appel anodin et inconsidéré d’un groupe de jeunes désespérés qui a rapidement pris de l’ampleur ? Ou tout simplement d’une mauvaise plaisanterie qui a vite tournée au drame ?
Ce qui est sûr, c’est que cet appel virtuel, tranche diamétralement avec les méthodes des réseaux de passeurs qui optent d’habitude pour la clandestinité, l’effet de surprise et l’opacité de leurs activités. De plus, appeler à une opération massive de passage en force ne procure aucun profit matériel ou financier à ces réseaux. Pourquoi donc ameuter et alerter les forces de l’ordre, quitte à militariser la région et condamner leurs activités ?
En apparence, il s’agirait tout simplement d’un appel anodin de jeunes et qui aurait rapidement trouvé écho parmi les candidats à l’émigration, grâce à la magie des réseaux sociaux. D’autres parties malveillantes auraient-elles surfé sur la vague et tenté sournoisement d’amplifier et de médiatiser cet appel ? Sans tirer des conclusions hâtives, beaucoup d’indicateurs poussent à considérer cette piste.
L’on serait tenté de supposer qu’un tel appel n’ait qu’une seule finalité : créer un bad buzz médiatique autour de la situation socioéconomique des jeunes au Maroc, embarrasser les autorités marocaines et éprouver les relations encore « frêles » entre le Royaume et l’Espagne. A qui bénéficierait donc une telle situation ? C’est la question à un dinar.
Ce qui est sûr par contre, c’est qu’aucune de ces théories ne saurait dédouaner les différents gouvernements qui se sont succédé ces 20 dernières années de leurs responsabilités quant à la situation actuelle d’une large frange de la jeunesse surtout dans les zones semi-urbaines et rurales.
Au-delà de la main étrangère, de la manipulation ou du mouvement spontané, il a suffit de quelques messages sur les réseaux sociaux pour que beaucoup de régions du Maroc vivent une situation de branle-bas de combat et que quelques milliers de jeunes se ruent vers la petite localité de Fnideq.
Qu’un jeune de 30 ans, sans perspectives, se résigne à tenter de passer en Europe est, somme toute, compréhensible. Mais qu’un mineur, qui a encore tout l’avenir devant lui, endosse un discours de désespoir et s’en va renforcer les rangs des candidats à l’émigration irrégulière, est grave et inacceptable et acte la faillite et la démission des institutions de socialisation et des politiques gouvernementales. Le Maroc n’est ni un pays en guerre ni encore moins en état de déliquescence.
Cet appel à l’émigration collective n’est ni l’arbre qui cachait la forêt ni la goutte qui a fait débordé le vase, parce que tout simplement, personne n’aimait admettre une réalité, pourtant criante, d’un Maroc à deux vitesses et la refoulait au profit de l’image d’un Maroc qui impressionne, qui carbure, qui enchaîne les performances et des succès arrachés pourtant, de haute lutte.
En tentant d’analyser les causes de ce « Blitzhrig », beaucoup d’observateurs, d’analystes et de chroniqueurs ont critiqué, à juste titre, les politiques d’emploi des jeunes et les différents programmes gouvernementaux qui leur sont dédiés. Mais la plupart ont omis le rôle important que joue la socialisation de nos enfants et de nos jeunes pour les préparer à assumer pleinement leur rôle au sein de la société. Et sur ce registre, le gouvernement et les collectivités territoriales ont lamentablement failli à leur mission.
Des activités sportives, culturelles et ludiques, qui étaient encore gratuites et accessibles à tous les jeunes il y a 2 ou 3 décennies, sont devenues payantes, élitistes et hors de portée des classes populaires et même moyennes, déjà croulant sous le poids des dettes et des crédits immobiliers ou de consommation et des frais de scolarité élevés. Entre la fermeture des maisons des jeunes, la baisse alarmante du niveau scolaire dans l’enseignement public, la disparition du sport scolaire et le modeste nombre des conservatoires de musique…, le constat est choquant.
Le Maroc ne compterait que 38 conservatoires de musiques et d’arts chorégraphiques, dont 1 conservatoire national à Rabat, 25 conservatoires locaux et 12 conservatoires régionaux. Il n’y aurait que 675 maisons de jeunes, dont 391 en milieu urbain et 284 en milieu rural, dont plus de la moitié ont besoin d’être réhabilitées pour en faire des établissements de nouvelle génération. Dans nos universités, il n’y a ni activités sportives ni productions artistiques ou culturelles. En l’absence de ces institutions et activités, d’une éducation à la citoyenneté, et de stratégies qui encouragent la création et prônent l’épanouissement et le mérite, une grande partie de nos jeunes resteront fragiles et très réceptifs à ce genre d’appel au Blitzhrig.
Mais il n’y a pas que les jeunes sans perspectives ou sans emplois qui cherchent à quitter le pays. Il y a malheureusement une grande saignée de cadres, principalement les professionnels de la santé et les ingénieurs qui s’expatrient chaque année par centaines, sinon par milliers. Ils ne sont ni au chômage ni victimes de l’exclusion sociale. Ils émigrent individuellement, loin des caméras, sans l’aide des passeurs, par des canaux réguliers et bénéficient de toutes les facilités possibles et imaginables et font le bonheur des pays d’accueil.
Vraisemblablement, il y aurait un mal-être, un sentiment d’incompréhension. Qu’ils soient lauréats de grandes écoles et universités, ou simples jeunes sans formations ni expériences, il n’en demeure que ce sont des potentialités de ce pays qui partent ou essayent de partir pour s’épanouir et créer de la richesse ailleurs.
Quelque part, nous sommes également responsables, même si les politiques assument la grosse part. Sommes-nous assez citoyens dans nos comportements et agissements quotidiens ? Avons-nous inculqué l’engagement citoyen à nos enfants ? Les manuels scolaires promeuvent-ils la fibre associative parmi les écoliers et les élèves ?
L’impératif maintenant est de redonner espoir, confiance et foi en l’avenir aux jeunes générations de tout le pays, leur permettre de participer à l’édification du Maroc dont ils rêvent, de prendre part à la construction d’un beau et glorieux récit national. Face à de tels électrochocs, il nous incombe de protéger et immuniser notre jeunesse.
Il faut se rendre à l’évidence que des opérations similaires se reproduiront vraisemblablement de manière périodique avec des moyens de mobilisation et modes d’organisation différents certes, et ceci tant que les conditions ayant favorisé la large réceptivité de l’appel continueront de prévaloir.
Que des parties malveillantes, dont la bassesse des méthodes ne surprend plus personne, profitent de la détresse d’une jeunesse pour tenter de semer la zizanie et créer un climat d’instabilité et de perte de confiance dans notre pays, est compréhensible et même prévisible. Ils continueront à chercher à exploiter chaque point faible, chaque petite brèche pour nuire à notre pays. Désormais, il incombe aux autorités sécuritaires de se préparer en conséquence, en attendant la mise en œuvre de politiques pertinentes et adaptées prenant en compte les besoins et les spécificités de chaque région et de chaque catégorie de jeunes.
Pourvu que cette épreuve ne soit qu’un simple coup-bas, supplémentaire, qui ne fera que nous renforcer.
Younes Foudil